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février 1996

L’interdiction de Polaris et la création de Technopol

Depuis l’envoi dans les préfectures en mai 1995 de la circulaire “Les soirées raves, des situations à haut risque” du ministère de l’Intérieur, les annulations de soirées pleuvent pour ceux qui essayent encore de jouer le jeu de la légalité. Arrêtés préfectoraux, commissions de sécurités tatillonnes qui empêchent les événements aux derniers moments… Beaucoup d’organisateurs sont découragés. Certains comme Max le Sale Gosse font même de la prison pour avoir simplement organisé des fêtes. Une partie des ravers se tourne vers les free parties qui se développent en toute illégalité. À Nîmes, suite à quelques débordements dus à des spectateurs sans billets l’année précédente, la mairie ne veut plus accueillir la rave Boréalis dans ses Arènes. Ses organisateurs, La Tribu des Pingouins projette alors de monter un événement hivernal. Il prend le nom de Polaris et doit se dérouler le 24 février à la Halle Tony Garnier, la plus grande salle de spectacles de Lyon. A priori, tout cela devrait se dérouler sans encombre. Les organisateurs ont démontré leur sérieux, la salle est aux normes et le plateau propose des artistes de premier plan comme The Prodigy, Carl Cox ou DJ Hell.

Mais c’est sans compter sur le maire de Lyon de l’époque, Raymond Barre, qui sous la pression du syndicat des discothèques de la région, très inquiet de voir le public déserter ses établissements, n’autorise la fête que jusqu’à une heure du matin. À l’époque, les événements diurnes ne sont pas encore rentrés dans les mœurs. La techno est une musique pour oiseaux de nuit. Les Pingouins, la mort dans l’âme, se voient dans l’obligation d’annuler la fête. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Suite à cette interdiction de fait, une association de professionnels se créée : Technopol. Elle s’attache à défendre et faire reconnaître les cultures électroniques et ses acteurs. Et accessoirement, à organiser la Techno Parade à partir de 1998.

juin 1996

Le kitsch français de Dimitri from Paris

DJ de longue date, prosélyte du disco, de la house et du garage dès la fin des années 80 via son émission radio “NRJ Club”, Dimitri from Paris sort son premier album Sacrebleu. Le disque, paru chez Yellow Productions (le label de Bob Sinclar), s’aventure du côté du downtempo et de l’easy-listening avec ses samples puisés abondement dans le jazz. Jouant à fond la carte kitsch et les clichés tricolores, notamment avec le morceau “Sacré Français”, Sacrebleu cartonne à l’international. C’est avec cette sortie que des journalistes anglais commencent à utiliser le terme de “french touch”.

La scène française compilée

La production électronique française est désormais suffisamment fournie pour être présentée sous la forme de compilations. À un mois d’intervalle sortent Source Lab 2 sur un sous-label de Virgin et Art Of France sur Level 2/F Communications. Si la première s’attache à présenter la nouvelle scène “french touch” très parisienne, la seconde est une rétrospective historique allant de la house de DJ Deep au hardcore de Manu le Malin.

juillet 1996

La police interrompt Xanadu

Si la plupart des raves se sont orientées vers le hardcore et la trance, certains organisateurs persistent à organiser des soirées hors club empreintes d’un son plus chaleureux.

Le château de Vaulx-le-Pénil

C’est le cas de Fred Agostini et ses soirées Xanadu qui accueillent toute la future “french touch” comme Daft Punk, Cassius, Gilb’r ou Ivan Smagghe. Mais la fête de juillet organisée au château de Vaulx-le-Pénil se solde par une intervention policière musclée. Fred Agostini est placé en garde à vue le lendemain. Quelques mois plus tard, on le retrouve… en club. Au Queen, il va bientôt lancer les soirées Respect.

Versatile et la multiplication des labels

La scène électronique française étant enfin prise au sérieux, de nombreux labels se créent au milieu des années 90. Beaucoup ont la particularité d’être indépendants et de privilégier le support vinyle qui est celui employé par l’immense majorité des DJ’s. Parmi les structures qui comptent il y a bien sûr l’historique F Communications, mais aussi Solid, Omnisonus, Logistic, Pro-Zak Trax, Pschent, Serial et tant d’autres. La plupart ont aujourd’hui disparu, victimes de la crise du disque, mais d’autres ont toutefois réussi à traverser les années. C’est le cas de Tricatel de Bertrand Burgalat, qui n’est pas un label purement électronique, mais y a été associé pour ses sorties easy-listening. Il y a aussi Yellow Productions qui ne publie plus guère aujourd’hui que les sorties de Bob Sinclar. Il y a surtout Versatile fondé par le DJ Gilb’r qui quitte les ondes de Radio Nova pour se lancer dans l’aventure à l’été 1996. Inspiré par des labels new-yorkais comme Strictly Rhythm pour le côté dancefloor et anglais comme Warp et Ninja Tune pour l’aspect aventureux, il connaît un grand succès avec ses deux premières sorties : “Disco Cubizm” de I:Cube et “Venus (Sunshine People)” de Cheek. Mais Gilb’r ne souhaite pas l’enfermer dans un son house filtrée alors en vogue et prend le large dès la sortie suivante signée Zend Avesta – l’un des pseudonymes d’Arnaud Rebotini. Depuis, Versatile a cultivé ouverture d’esprit et curiosité musicale. Une marque de fabrique qui explique aussi sans doute sa longévité.

Le label a ainsi découvert des artistes importants des années 2000 et 2010 comme Joakim, Zombie Zombie/Etienne Jaumet ou encore le duo Acid Arab. Les labels pionniers des années 90 ont défriché le terrain pour ceux arrivés par la suite comme Ed Banger ou Institubes, qui en ont conservé l’esprit d’indépendance et de défense du support physique.

octobre 1996

Motorbass, l’album mythique

Fondamental dans l’histoire de la house française, Pansoul est aussi un album testament. Il conclut de la plus belle des manières l’aventure du duo Motorbass constitué de Philippe Zdar et Étienne de Crécy. Une house soyeuse, inspirée par la scène black américaine, à la production subtile et aux samples aussi foisonnants que méconnaissables. Très vite épuisé, le pressage original devient culte chez les diggers avant une réédition chez Virgin en 2003.

L’acid-techno d’Emmanuel Top

A mille lieux du son french touch qui déferle désormais sur le monde, le producteur lillois Emmanuel Top sort chez les Anglais de Novamute son album le plus ambitieux : Asteroid. Alors qu’il a connu un grand succès commercial avec son projet trance BBE, il revient ici à l’acid-techno de ses débuts, dans une veine très minimaliste sans doute inspirée par les travaux de Richie Hawtin. Si la house focalise toute l’attention médiatique, la techno française n’a pas dit son dernier mot.

Les soirées Respect

C’est un soir d’automne que le Queen, célèbre club gay des Champs-Élysées, accueille la première édition de Respect. Avec les Daft Punk en tête d’affiche, la soirée rencontre un succès immédiat. On retrouve derrière son organisation deux journalistes, David Blot de Radio Nova et Jérôme Viger-Kohler de FG, ainsi que Fred Agostini, l’homme des soirées Xanadu.

Leur objectif est double. Tout d’abord, créer à Paris une véritable “club culture” sur le modèle new-yorkais, afin de sortir du schéma de la boîte de nuit traditionnelle où la musique n’a que peu d’importance. Ils invitent pour cela des légendes de la house américaine comme David Mancuso du Loft ou Joe Claussell. Ensuite, et surtout, il s’agit d’offrir un espace digne où puisse enfin s’exprimer cette scène française bouillonnante qui fait tant parler d’elle à l’étranger. Les Cassius, De Crécy, Dimitri From Paris et autres n’étaient en effet que rarement invités à jouer à domicile. Il y a bien le Rex Club, mais ce dernier demeure dans un certain purisme techno venu de Detroit et de la culture rave. Les soirées Respect se déroulent chaque mercredi soir, sont gratuites et ont une politique très tolérante à la porte. Les stars du show-biz comme les étudiants fauchés s’y retrouvent dans une ambiance bon enfant autour d’une musique furieusement moderne. Les flyers au format cartes à collectionner sont réalisés par la photographe Agnès Dahan et participent à une esthétique glamour et cool. Consécration quelques mois plus tard, lorsque les soirées Respect traversent l’Atlantique pour se retrouver au Twilo de New York où les Américains raffolent des artistes hexagonaux. L’une se déroulera même à Los Angeles dans le fameux manoir Playboy d’Hugh Hefner, le fondateur du magazine érotique. Avec Respect, la “french touch” n’est plus seulement visible dans les bacs, elle a désormais investi les clubs du monde entier. Et la nuit parisienne s’en trouve transformée à jamais.

Décembre 1996

Etienne de Crécy lance super Discount

Échappé du duo Motorbass, Étienne de Crécy vole désormais de ses propres ailes, mais pas totalement en solo. Super Discount est un album concept autour du consumérisme qui accueille d’autres artistes comme Air, Alex Gopher ou… Philippe Zdar. Il impose une house “filtrée” aux influences multiples et accorde une place importance à l’image via ses clips et ses pochettes qui se combinent entre elles.

Les débuts du web électro

1996 est aussi l’année où Internet devient disponible pour le grand public en France. Certes, on s’y connecte avec des débits très lents et pour une durée limitée – AOL propose par exemple des offres de 20 heures par mois –, mais le “réseau des réseaux” offre des possibilités inédites. Le monde entier est désormais accessible en quelques clics. Cela va changer la donne dans tous les domaines, et en particulier celui de la musique.