Leurs raisons sont différentes – la nostalgie pour les uns et l’envie d’une certaine forme de liberté pour les autres -, mais le résultat est le même. En cette année 2012, deux générations d’amateurs de musique électronique redécouvrent les charmes de la banlieue parisienne et des entrepôts industriels de l’autre côté du périphérique. Le 17 mars, c’est l’esprit des premières raves qui ressuscite à Aubervilliers avec la soirée Mozinor My Amor. Née du succès d’un groupe Facebook dédié aux nostalgiques de Mozinor, un entrepôt de Montreuil où a
été organisée une série de soirées légendaires au début des années 90, cette rave “à l’ancienne” (lieu dévoilé à la dernière minute, déco rétro…) réunit quelques milliers de participants ayant pour la plupart connu les grandes heures de la techno en France et se montrant heureux de ressortir leur t-shirt d’époque. Dans le même temps, la génération qui a 20 ans a elle aussi envie de fuir Paris la nuit et ses clubs trop chers, trop snobs, trop tristes, pour faire la fête en toute liberté en proche banlieue. Tout au long de cette année 2012, de nombreuses soirées, plus ou moins légales et bien organisées, naissent (puis disparaissent) grâce à la magie des réseaux sociaux et de jeunes collectifs comme Die Nacht, Play ou Cracki, organisant tout, du son de la soirée à sa déco, en passant par le bar et les DJs. La rave est de retour en 2012.
Musicien lui-même (sous différents pseudonymes comme M&M’s ou Flash and Gordon) et plasticien, Olivier Degorce est aussi un des premiers photographes français (avec son confrère du magazine Coda, Pierre-Emmanuel Rastoin) à s’être intéressé à la scène électronique française et internationale et à témoigner de sa montée en puissance tout au long des années 90. Après un premier livre en 1998, baptisé Normal People et depuis longtemps épuisé, il publie en cette année 2012 Photographies et catalogue sonore, rétrospective de son travail aux éditions Dimensions Variables.
Bien qu’il soit l’un des pionniers de la scène électronique française et ait connu un succès fracassant sous le nom de Motorbass (avec son acolyte Philipe Zdar) ou de Superdiscount, Étienne de Crécy reste une figure discrète de la French Touch. Baptisé My Contribution To The Global Warning, l’anthologie de ses morceaux publiés depuis 1992 (proposé en cinq CDs ou six vinyles), permet de se faire une meilleure idée de l’apport de ce musicien essentiel de la scène électronique française.
En 1996, son titre “Disco Cubizm” et son remix par les Daft Punk ont contribué à définir l’identité sonore de la French Touch. Le musicien parisien I:Cube, pseudonyme derrière lequel se cache Nicolas Chaix, a depuis sorti quatre albums en restant fidèle au label Versatile de son ami DJ Gilb’r. Unanimement salué par la presse spécialisée comme étant l’un de ses meilleurs disques, l’album “M” Megamix, très orienté dancefloor, confirme en mai 2012 l’importance d’I:Cube et sa capacité à explorer des univers aussi différents que celui de la house, l’ambient ou des choses plus downtempo et expérimentales. Depuis, I:Cube a malheureusement décidé de ne plus se produire sur scène, ce qui fait de lui l’un des secrets les mieux gardés de la French Touch.
Le label fondé par Gildas Loaëc (responsable dans les années 90 du label Roulé de Thomas Bangalter) et Masaya Kuroki a dix ans, et depuis sa création, il est resté fidèle avec succès à une double identité fortement originale : maison de prêt-à-porter ayant ouvert des magasins à Tokyo, New York et Paris, Kitsuné est aussi un label de disques s’étant donné pour mission de présenter, sur des compilations paraissant à intervalles réguliers, les talents émergents de la scène électro-pop mondiale. Bien que Kitsuné ait aidé à la découverte de nombreux groupes français comme le duo Housse de Racket, l’image du label, forgée par des artistes comme Two Door Cinema Club, Metronomy ou Is Tropical, reste quand même plus anglo-saxonne que française.
Musicien atypique, auteur de “Flat Beat” en 1999, le tube le plus abrasif de la French Touch, Quentin Dupieux alias Mr Oizo, est aussi un réalisateur de cinéma à l’inspiration surréaliste. Après Steak, une très étrange comédie avec Eric et Ramzy, dans laquelle de nombreux musiciens électro français font des apparitions plus ou moins brèves et Rubber, l’histoire d’un pneu qui prend soudainement vie (et dans lequel Pedro Winter et Justice jouent de petits rôles), il sort Wrong, l’histoire d’un homme qui a perdu son chien. Tourné au États-Unis, où Quentin Dupieux vit la plupart du temps, et tourné avec la fonction vidéo d’un appareil photo Canon, ce quatrième long-métrage est souvent considéré comme le plus abouti de son auteur.
Porté par le tube aux couleurs funky “Baby I’m Yours” sorti en 2010, Breakbot, de son vrai nom Thibaut Berland, fait paraître Baby I’m Yours, premier album tout aussi chaleureux, sur le label Ed Banger. De tous les membres de l’écurie Pedro Winter, Breakbot est celui qui exprime le plus sa passion pour la musique black et les sucreries pop-disco-funk. Un véritable disque de l’été qui, étrangement, sort au mois de septembre, ce qui ne l’empêchera pas de trouver son public. Irfane, chanteur du tube “Baby I’m Yours”, rejoindra en 2015 Thibaut Berland pour transformer Breakbot en duo à l’occasion d’un deuxième album tout aussi funky, Still Waters.
Après les années de la diabolisation, voici celles de l’institutionnalisation. La techno n’en finit plus d’entrer au musée. Cette nouvelle expo au Musée des Arts Décoratifs de Paris s’intéresse aux créations graphiques de la French Touch et aux liens étroits qui ont uni dans les années 90, musiciens, labels et directeurs artistiques. En présentant pochettes de disques, flyers, affiches, logos d’artistes ou clips, cette exposition mise en scène par l’équipe du studio H5 (réalisateur de nombreuses pochettes de disques de l’époque) dévoile la créativité bouillonnante d’une époque où les outils graphiques évoluent autant que les codes marketing.