La planète électronique attendait avec impatience le successeur du monstrueux Aleph, sorti en 2013. Il lui a fallu vite déchanter. Annoncé par des teasings muraux luxueusement affichés en 4×3 de Los Angeles à Paris, le décevant et mollasson Hyperion, avec ses featurings à tire-larigot (les inévitables The Weeknd et Pharrell Williams) ne semble n’avoir qu’un but : marcher sur les traces des Daft Punk à la conquête des USA. C’est d’ailleurs à Coachella en avril que “Gesa” donne son premier live, la tête dissimulée par un masque sombre et revêtu d’une étrange combinaison argentée. Abandonné par ses fans, le producteur tente en octobre un rétropédalage underground avec le EP Novo Sonic System, entre cold-wave et EBM. Pas vraiment convaincant. Un live unique est annoncé dans notre pays pour 2020 à l’AccorHotel Arena de Paris.
“Electro : de Kraftwerk à Daft Punk” à la Philharmonie de Paris a clairement été l’un des principaux évènements électroniques de l’année. Au rythme des onze mixes concoctés par Laurent Garnier, le public, novice comme aguerri, a pu (re)découvrir l’histoire des musiques électroniques et quelques grandes figures de la scène. Dans les 800m2 de ce parcours scénographié par 1024 Architecture (l’équipe qui a réalisé le “Cube” d’Étienne de Crécy), on se balade entre l’installation “Technologic” des Daft Punk, une salle de cinéma 3D dédiée à Kraftwerk ou encore le dispositif immersif lumineux “Core”, lui aussi signé 1024 Architecture. Et encore, ceci n’est qu’un aperçu de tout ce que l’on a pu voir et entendre. Pour ceux et celles qui n’ont pas eu la chance de la visiter, un passionnant catalogue de 256 pages a été réalisé sous la direction de Jean-Yves Leloup, le commissaire de l’exposition. Il explore tout le spectre électronique, de la musique concrète de Pierre Henry aux photos d’une récente et spectaculaire rave en Géorgie, la nouvelle frontière de la techno. Tout tout tout, vous saurez tout sur l’électro.
Un duo français, un nom russe, un chant en allemand, un album présenté comme un “hommage” à la techno berlinoise des débuts, une imagerie faite de chemises blanches, cravates noires et têtes passées au goudron et aux plumes… Le duo Kompromat avait toutes les cartes en main pour se faire remarquer. Il a fait mieux que ça, puisque c’est l’un des succès électroniques de 2019, sur disque comme sur scène. Formé par Julia Lanoë, alias Rebeka Warrior (Sexy Sushi, Mansfield.TYA), et Pascal Arbez-Nicolas (Vitalic, Dima) qui se complètent idéalement, Kompromat a su séduire avec une musique pourtant pas forcément chaleureuse. Plutôt que de techno berlinoise, Traum und Existenz plonge dans une électronique froide, parfois poétique et glaciale, souvent radicale et virulente. Un premier album dont les vocaux de Rebeka Warrior sont peut-être l’atout majeur. Même si elle n’en parle pas un traître mot d’allemand, elle s’approprie la langue avec malice, jouant avec elle la hurlant, la chantant, la martelant… Une réussite qui a fait le bonheur des scènes de festivals et des salles de concert que Kompromat arpente depuis le début de l’année 2019 avec un show impérial…
Voilà un album qui s’est fait (vraiment) attendre. Huit ans que Sébastien “Agoria” Devaud promettait la suite d’Impermanence qui datait déjà de 2011. Des quelques privilégiés qui avaient entendu les bandes émanait une rumeur plus que positive, mais rien ne venait. Signe des doutes qui devaient assaillir le DJ et producteur lyonnais, installé à Paris dans les années 2010. Au final, porté par d’excellents titres comme “You‘re Not Alone” ou “Remedy”, ce quatrième disque ambitieux est très différent de ses productions précédentes. C’est un album raffiné et chaleureux, qui fait le pari de la pop et des mélodies sans renier sa culture électronique. Un disque d’une grande maturité, sans techno brutale ni hymne house calibré pour le danceflooor, mais flirtant avec la soul autant qu’avec l’électronica, voire avec le hip-hop, le temps d’un très intense Call Of the Wild. Ce titre particulièrement puissant est d’ailleurs l’objet d’un long clip de qualité “hollywoodienne”, tourné aux États-Unis pour un budget qui semble bien plus confortable qu’il ne l’est probablement en réalité. Ce thriller d’une dizaine de minutes percutantes est la troisième vidéo qui accompagne Drift, après les clips déjà somptueux de “Embrace” et “You’re Not Alone”. Signe qu’Agoria s’intéresse aujourd’hui au moins autant aux images qu’à la musique. Probablement l’une des grandes réussites, musicales et visuelles, de l’année.
Drôle d’appel que celui lancé par Laurent Garnier le 18 juin 2019 : un trailer décomplexé, avec une première partie parodique où il interprète lui-même des intervenants fictifs, jouant avec un humour parfait le second degré, suivi d’une seconde moitié une plus sérieuse qui nous entraîne de villes électroniques en capitales techno, en compagnie d’intervenants tous plus capés les uns que les autres (Carl Cox, Seth Troxler, Jeff Mills…). En quatre minutes, le pionnier techno français lance un appel à contribution et offre au documentaire Off The Record du réalisateur Gabin Rivoire un formidable coup de projecteur. Résultat des contributions, plus de 180 000 euros seront récoltés, de quoi largement financer le documentaire, témoignage de trois années passées en immersion aux côtés de Garnier. Off The Record connaîtra des projections de lancement dès janvier 2020 avant une sortie sur les écrans que l’on espère généralisée.
Dans le fond il existe assez peu de documents de qualité sur les débuts du mouvement house et techno en France. Alors le livre de Meyer, publié chez Loco Éditions, sur les soirées Lunacy qui se sont déroulées entre 1992 et 1997, plus ou moins clandestinement et principalement dans des entrepôts de la banlieue parisienne, est d’autant plus précieux. D’abord parce que c’est un témoignage de première main sur l’ambiance des raves des années 90 naissantes, mais aussi parce que c’est un remarquable travail artistique et un objet splendide.
Devenu un photographe réputé appartenant au collectif Tendance Flou, Meyer reconnaît qu’il n’a pas beaucoup pris de clichés durant les soirées Lunacy, dont il était proche des organisateurs. “J’avais bien mieux à faire”, raconte-t-il et on veut bien le croire. Mais les quelques images “crues et clandestines” qu’il a shootées en noir et blanc, au débotté et souvent en dansant lui-même, montrent des visages irradiant de bonheur et des corps qui s’abandonnent au plaisir d’un nouveau son en train de naître. Il n’y a que des sourires dans ce livre et des corps en transe, heureux de danser ensemble. C’était ça la techno.
Huit ans après le décès accidentel de DJ Mehdi, c’est une autre figure de la french touch qui disparaît tragiquement et dans des conditions tristement similaires. C’est aussi une chute qui a coûté le 19 juin la vie à Philippe Zdar, moitié des duos Motorbass et Cassius, patron du Motorbass studio dans le XVIIIe arrondissement de Paris, où il a produit des albums remarquables pour The Rapture, Beastie Boys, Hot Chip ou encore Cat Power. Figure solaire et très aimée de ses camarades de la scène électronique, Philippe Zdar venait d’avoir 50 ans. Avec son camarade Hubert “Boombass” Blanc-Francard, rencontré alors qu’ils travaillaient tous deux pour MC Solaar, il s’apprêtait à sortir deux jours plus tard Dreems, le cinquième album de Cassius, unanimement salué comme l’un de leurs meilleurs disques. La scène française et internationale lui a rendu hommage en l’accompagnant lors d’une cérémonie particulièrement poignante des rues de son quartier jusqu’au cimetière Montmartre.
21 juin. Steve Maia Caniço se rend sur l’île de Nantes, quai Président-Wilson, avec ses amis pour la Fête de la Musique. Sur les coups de 4 heures du matin, il est temps que la musique s’arrête. Discussions avec la police, les sound-systems techno s’exécutent. Mais vers 4 h 20, un DJ reprend les platines avec “Porcherie” des Béruriers Noirs. Et la police charge – ou répond à des jets de projectiles, selon les versions. Personne n’y voit rien, des bombes lacrymogènes, des grenades de désencerclement et des tirs de LBD résonnent dans la nuit. C’est la cohue, la panique. Plusieurs personnes tombent dans la Loire, les quais n’étant pas sécurisés à cet endroit. C’est ce qui est arrivé à Steve Maia Caniço. Mais il ne savait pas nager. Le jeune homme est porté disparu, et des affiches “Où est Steve ?” sont placardées un peu partout en France. Plus d’un mois après, le 29 juillet, son corps est retrouvé dans la Loire. “Où est Steve ?” se transforme en “Justice pour Steve”. Sa mort deviendra le symbole de la lutte contre les violences policières et d’une jeunesse qui se bat pour le droit de faire la fête librement. Enquête de l’IGPN (l’Inspection Générale de la Police Nationale), contre-enquête… et le préfet de Loire-Atlantique qui refuse de reconnaître la responsabilité de la police dans la mort de Steve. Quelques mois plus tard, la Techno Parade lui sera dédiée, avec un char réclamant “Justice pour Steve”. Il avait 24 ans.
Entre ouverture et fermeture, la nuit à Paris a vécu une année en forme de grand huit. Il y a eu le 22 juillet l’arrêt du fameux club Concrete, qui a tant fait pour le clubbing parisien pendant presque une décennie. Le propriétaire de la barge qui accueillait le club situé quai de la Râpée n’a pas souhaité renouveler leur bail, ou alors à un tarif prohibitif. Qu’importe, les activistes de l’agence Surpr!ze, promoteurs des soirées Concrete, rebondissent dans la foulée en investissant une friche de la SNCF pour la transformer en club bouillant. Dehors Brut est né. Sauf que la nuit est tout sauf un long fleuve tranquille et malgré tout les efforts de prévention entrepris par l’équipe auprès de son public, Dehors Brut doit faire face début septembre à une mort par overdose de stupéfiants. La réponse des pouvoirs publics est comme toujours cinglante : trente jours de fermeture administrative. C’est le tarif, même si cela ne règle en rien le problème de la drogue en France. Mais Dehors Brut n’est pas le seul club à avoir été fermé cette année par la préfecture de police de Paris. Fin septembre, c’est le NF34, situé près de la Gare d’Austerlitz qui se voit également obligé de fermer ses portes, suite à un incident mi-juillet, lié à la consommation de GHB entre ses murs. Mais cette désespérante rubrique “faits divers” ne doit pas faire oublier l’activité nocturne parisienne toujours très active, marquée cette année par l’ouverture du club Joséphine, magnifiquement situé au sommet du Théâtre du Châtelet, mais aussi par les soirées éphémères (de mai à octobre) Jockey Disque à l’hippodrome d’Auteuil ou encore par la rénovation totale du Cabaret Sauvage. Autant de nouvelles pistes.
Pas de public, l’immense espace de la Cité du Cinéma en banlieue de Paris, des lumières qui crépitent et deux silhouettes impassibles entre claviers et machines : après leur album Woman et le spectaculaire World Woman Tour qui a suivi, Gaspard Augé et Xavier de Rosnay, alias Justice ont enregistré une captation live de leur concert où se croisent nouveaux morceaux et classiques comme “Stress” ou “DVNO”. Iris : A Space Opera n’a certes pas grand-chose à voir avec un opéra, mais le voyage d’une heure envoie bel et bien dans l’espace, entre caméra qui se retourne à la Gaspar Noé et œil bombardé de flashs, panneaux lumineux et plans spectaculaires. Le film a été diffusé pour un seul soir le 29 août au cinéma dans quarante pays et s’offre le 27 novembre une sortie DVD sous la forme de trois coffrets, avec vestes collectors et version VHS pour les plus vintages de leurs fans. Après Pink Floyd à Pompéi en 1972, Justice à Saint-Denis en 2019 ?
L’activité débordante de l’auteur d’Oxygène n’est pas seulement discographique ou scénique, elle s’accompagne cette année d’une très belle biographie, intitulée Mélancolique Rodéo, où il se révèle en écrivain brillant. Cet ouvrage, parfois poignant, raconte le Jarre musicien bien sûr, mais aussi les relations complexes qu’il peut entretenir avec les autres et notamment ce père absent (le compositeur de musique de film Maurice Jarre), qui l’a abandonné tout jeune avec sa mère. C’est également un livre de rencontres avec Stephen Hawking, Arthur C. Clarke ou Edward Snowden, des personnalités qui tous ont influencé le parcours musical agité de ce citoyen du monde, passionné notamment par la Chine.
Les concerts géants de la Concorde en passant par Houston ou Moscou occupent évidemment une large place dans ses mémoires. À lire, même si on n’est pas remué par la musique de Jarre. Le plus beau des compliments sans doute.