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JANVIER

le rex club a 30 Ans

Habitué à célébrer chaque nouvelle décennie en grande pompe, le Rex Club ne pouvait pas passer à côté d’un trentième anniversaire qui en fait l’un des plus anciens clubs techno en activité. Une date, fêtée avec une série d’évènements, dont certains hors ses murs, tout au long de l’année 2018. Ouvert en 1946, c’est d’abord un dancing avec orchestre plutôt chic, baptisé Le Rêve, avant qu’il soit renommé le Rex Club en 1973 à cause du célèbre cinéma dont il partage les murs. Si on dit que le Rex a 30 ans en 2018, c’est en souvenir de la première soirée Jungle, organisée par des promoteurs britanniques souhaitant exporter le son “acid house” en mai 1988. C’était un mardi soir et comme le raconte Christian Paulet qui dirigea longtemps le Rex au magazine Trax : “C’était loin d’être plein… mais il s’est passé quelque chose de fort.” Sous l’impulsion de Laurent Garnier, qui considère le Rex Club comme sa maison, et de Christian Paulet qui en fit un dancefloor 100% électronique à partir de 1998, le club du Boulevard Poissonnière a marqué l’histoire de la techno en France. Et il reste encore une salle culte pour les amateurs, même si la concurrence d’autres lieux comme Concrete, le Badaboum, la Station ou de nouvelles soirées en banlieue, parfois clandestines, comme Péripate ou Possession, se fait cruellement sentir. Projection de films, concerts exceptionnels dans la salle du grand Rex (St Germain, l’orchestre Lamoureux reprenant le catalogue du label Ed Banger) et DJs d’exception se sont succédé toute cette année lors d’un évènement baptisé « Rexist ».

 

Mars

Le GBL, menace sur le dancefloor

Le décès le 10 mars à Paris d’un clubber à la suite d’un coma a alerté sur les risques mortels du GBL et révélé une consommation de cette drogue en forte hausse depuis quelques mois dans le milieu festif. Ce produit, nommé gamma-butyrolactone, est à l’origine un solvant utilisée par les industriels comme dissolvant pour les polymères ou comme décapant pour enlever les graffitis et certaine peinture. Une substance qui se transforme après absorption dans le corps en GHB, censé procurer des effets euphorisants et désinhibant. Déjà répandue à la fin des années 90, époque où elle était surnommée “la drogue du violeur”, car souvent versée au cours de soirées en discothèque dans des verres laissés sans surveillance, elle avait amené les établissements à servir les consommations avec un couvercle en plastique pour remédier à ce fléau. Même s’il semble assez fou d’ingérer un produit si dangereux, son prix peu élevé, environ 10 € les 100 ml – sachant que la dose prise est généralement 2 ml – et sa facilité d’accès –même pas besoin d’aller sur le darkweb pour s’en procurer – ont tout de même attiré un nombre croissant d’expérimentateurs. Force est de constater qu’à Paris, le GHB/GBL a définitivement fait son entrée dans les fêtes libres et sur les dancefloors. On l’appelle même par un petit nom, qui ne le rend pas moins inoffensif : le “G”. Pour lutter contre ce fléau, le collectif Action Nuit, think tank regroupant les professionnels du secteur, a envoyé une lettre aux ministères de la Santé et de l’Intérieur face à une situation qu’ils ne peuvent pas gérer seul. Selon le préfet de Police, les hôpitaux doivent gérer 100 cas de comas par an liés au GBL, alors qu’ils n’étaient qu’une dizaine il y a quelques années.

Carpenter brut à l'Olympia

Pour tout artiste, un passage dans la prestigieuse salle de concert du Boulevard des Capucines à Paris est le signe de consécration. Surtout lorsqu’on affiche complet depuis des mois. C’est le cas du live de Carpenter Brut le 24 mars où le producteur était accompagné par deux redoutables musiciens issus de la scène métal. Une scénographie puissante pour celui dont le nouvel album Leather Teeth était sorti quelques semaines auparavant, et qui a fait trembler les murs. Son électro volcanique évolue au fil du temps vers le hard-disco, mais reste très fort

Arnaud Rebotini reçoit un César

Décidément le cinéma réussit à Arnaud Rebotini. Après le succès de sa reprise du tube blues “I’m a Man”, utilisé dans plusieurs séries, films et publicités, c’est des mains d’Eddy Mitchell et avec une émotion manifeste qu’il a reçu le César 2018 de la meilleure bande originale de film pour son travail sur 120 BPM de Robin Campillo, qui raconte l’histoire de l’association Act Up. Son discours bref et émouvant, “Act up existe toujours et le sida n’est pas qu’un film”, a marqué les esprits. Après Eastern Boys, c’est la deuxième fois que Campillo et Rebotini travaillaient ensemble. Fan de longue date, le réalisateur a été séduit par la culture musicale et la richesse de la palette créative d’un musicien aussi à l’aise lorsqu’il compose de la techno, du blues teinté d’électro (sous le nom de Blackstrobe), de la house ou des expérimentations pop mélancoliques et raffinées qu’il signe Zend Avesta. Vendeur de disque, tout comme le DJ Ivan Smagghe au magasin Rough Trade, une des plaques tournantes de la scène parisienne au début des années 90, Arnaud Rebotini est depuis cette époque un musicien prolifique et un pilier de la scène française. Mais c’est aussi un artiste réservé, contrairement à ce que sa carrure de cow-boy pourrait laisser penser, moins exposé et peu habitué des couvertures de magazine que d’autres musiciens de la french touch, dont il est autant un outsider qu’un pilier. Ce César, arrivé comme une reconnaissance bien méritée de son travail, a été un formidable coup de projecteur sur Arnaud Rebotini qui a multiplié les live et les prestations de DJ depuis (sa tournée 2018 dépasse les 100 dates). En attendant un nouvel album, sous son nom ou l’un de ses pseudonymes, Arnaud Rebotini a également signé en 2018 la bande originale du film Le Vent Tourne, incarné par Mélanie Thierry.

AVRIL

Ces filles qui remuent la scène électronique

Si le mouvement #metoo a libéré la parole des femmes, le milieu techno leur laisse encore trop peu de place, malgré le rôle clé joué en France par quelques pionnières comme Sextoy, Miss Kittin, Chloé ou Jennifer Cardini. Elles sont pourtant nombreuses à redéfinir les contours de la musique électronique hexagonale avec autant de panache que n’importe quel DJ mâle, voire bien plus. Loin des standards de la musique habituelle des clubs, une génération de DJs s’aventure dans des mélanges détonants et expérimente une vision de la nuit explosive et radicale. Au premier rang de ces artificières, AZF et son collectif Qui Embrouille Qui. Férue de techno industrielle et intense, AZF a été partout en 2018 : Concrete, Boiler Room, Rinse FM, Astropolis, Dour, Nördik Impakt, Nuits Sonores, La Station où elle a monté un festival avec son ami Charles Crost du Turc Mécanique pour mettre en avant des artistes français des scènes électroniques alternatives. Autre tête d’affiche en devenir, la DJ Anetha, redoutable aux platines, adepte d’une techno sans concessions mâtinée de new wave et de trance. Déjà passée par le Berghain, Weather Festival ou Concrete, Anetha codirige également le collectif Blocaus, qui vient tout juste de créer un label où elle vient de sortir son premier maxi. Une énergie folle que l’on retrouve également chez Coucou Chloé, Oklou, Miley Serious et son éloge de l’acid et du punk ou encore Sentimental Rave, DJ, productrice d’un gabber aux influences acid, photographe, réalisatrice de clips, engagée dans la lutte contre l’invisibilité des femmes dans la techno. L’incarnation parfaite de cette scène féminine intègre et radicale.

JUIN

Kiddy Smile à l’Élysée

C’est la polémique de l’année sur la scène électronique. Le vogueur Kiddy Smile, dont le premier album One Trick Pony venait de sortir, a-t-il eu raison d’aller se produire dans la cour de l’Élysée ? Invité par Pedro Winter, à qui les équipes du président Macron ont proposé de monter un plateau électronique à l’occasion de la fête de la musique, Kiddy Smile a été clair sur les réseaux sociaux, expliquant qu’il n’y allait pas pour soutenir le président. De fait, il est monté sur scène portant un t-shirt “fils d’immigré, noir et PD”, ce qui n’a pas empêché qu’une photo du couple présidentiel tout sourire aux côtés des danseurs de son groupe ne soit publiée sur les réseaux sociaux de l’Elysée, au grand désarroi de l’extrême droite. Comme le résume la musicienne Léonie Pernet, dans le magazine Tsugi : “Quand une fille que tu détestes t’invite à son anniversaire, tu n’y vas pas, même en portant un t-shirt je t’emmerde.”

AOÛT

Woman Worldwide de Justice

Sortir un album live après chaque tournée est une habitude lancée par les Daft Punk et que Justice, l’autre grand duo électronique français, a reprise à son compte. Après A Cross the Universe et Access All Arenas, Gaspard Augé et Xavier de Rosnay publient Woman Worldwide, un enregistrement en public, mais retravaillé en studio, de la spectaculaire tournée qu’ils ont effectuée en 2017 et qui les a vus passer notamment par l’AccorHotel Arena, une salle que peu de groupes électro remplissent. Le disque reprend des morceaux de leurs trois précédents albums dans des versions boostées et mélangés les uns aux autres dans ce qui ressemble souvent à un spectaculaire mash-up.

Septembre

The Blaze, Dancehall

Après le succès tonitruant du EP “Territory” porté par un clip tourné à Alger, qui a marqué les esprits par ses images léchées mais puissantes, le duo de producteurs-cinéastes Guillaume et Jonathan Alric signe Dancehall, un premier album très attendu où l’on retrouve sa marque de fabrique : une techno vocale puissante et hantée avec de fortes mélodies. La nouvelle réussite des clips de “Heaven” et “Queens” et des prestations live remarquées installent la patte particulière de The Blaze, où l’image est mise au même niveau que le son.

Octobre

Fermeture du Batofar

La Batofar ne fêtera pas ses 20 ans. L’ancien phare flottant transformé en club et restaurant, amarré sur les bords de Seine à Paris depuis 1999, ferme ses portes après avoir vécu une histoire aussi riche que tumultueuse au service des musiques électroniques. Les plus anciens se souviennent des festivals qu’il consacra aux capitales techno, notamment Berlin, dans les années 2000 ou des épuisants afters Kwality. Ces dernières années, le petit dancefloor de métal, épuisé par d’innombrables crises intestines, fermetures préfectorales et crues de la Seine, flirtait avec l’underground. Son nouveau propriétaire en a décidé autrement, fini la techno, le bateau reviendra en 2019 sous son nom d’origine, l’Osprey, pour jouer de la musique “chic et décontractée”. Dommage.

La Station, Péripate, ces nouveaux lieux qui remuent le grand Paris

Si l’avènement de la barge Concrete a créé depuis le milieu des années 2010 des nouvelles habitudes pour un public traditionnellement dévolu aux clubs, le mouvement s’est amplifié aujourd’hui. Le Grand Paris a vu la multiplication de nouveaux lieux festifs légaux ou non, capable de réunir plusieurs milliers de personnes dans une ambiance de liberté souvent totale, rappelant la chaleur brûlante des ambiances berlinoises. Avec comme chef de file, les soirées Peripate, dont la situation, un squat sous le périphérique parisien, est symbolique de l’échappée de la fête hors des trop contraignantes frontières parisiennes. Royaume d’une techno martiale, à la “Berghain”, Peripate dont les line-ups sont gardés secrets, fixe quand même un âge minimum d’entrée : 23 ans, mais autorise les gens à apparaître complètement nus sur le dancefloor. Tout aussi électronique, mais avec des flirts avec la cold-wave ou l’EBM, la Station-Gare des Mines, basée avenue d’Aubervillers dans le XVIIIe arrondissement de Paris, est un lieu éphémère dont la fermeture devrait intervenir en 2019. Manu Le Malin, la DJ AZF avec son collectif Qui Embrouille Qui, s’y produisent régulièrement. Mais on a pu observer également la multiplication de soirées itinérantes dans des hangars (“warehouse”) désaffectés rappelant les grandes heures des raves du début des années 90. À l’image de celles du collectif techno Sécurité, qui lui aussi fixe quelques règles strictes : pas de photos, pas de vidéos, âge minimum 21 ans.

© Jacob Khrist