Flyer de Nostromo
Fantom, un crew de jeunes organisateurs, propose la rave Nostromo dans un hangar d’Issy-les-Moulineaux. Ambitieux, ils ont loué l’espace plusieurs semaines à l’avance afin de mettre en place une imposante scénographie et ont booké les artistes américains Blake Baxter et Juan Atkins. Le dessinateur de BD Moebius est mis à contribution pour assurer les projections vidéo. Quelques mois avant le début de la grande répression, 5 000 personnes assistent à une sorte d’apothéose de la rave “authentique”.
La scène techno/house prend de l’ampleur en France, mais ne possède pas encore sa “bible” ou plus prosaïquement son magazine attitré. Certes, il existe bien Eden, mais il reste un fanzine avec de petits moyens et qui n’est pas distribué dans le circuit traditionnel des marchands de journaux. C’est alors qu’Eric Napora, organisateur de raves avec Cosmos Fact – Mozinor – et disquaire avec le magasin TSF, s’associe à Paulo Fernandes, lui aussi promoteur avec Happy Land, pour monter le magazine Coda. Dans le langage musical, une coda signifie la reprise, la répétition d’une mesure, ce qui colle bien à l’esprit de la techno, musique répétitive s’il en est. Le magazine est donc largement distribué au niveau national et adopte tout d’abord une parution bimestrielle – tous les deux mois – avant de devenir un mensuel en avril 1995. Alors que la presse rock continue de bouder – quand ce n’est pas dénigrer – les musiques électroniques, Coda devient une référence en la matière. Pour se démarquer et inventer une nouvelle forme de journalisme musical, le magazine choisit de ne pas mettre d’artistes sur ses couvertures. Celles-ci présentent au contraire des photos de raveurs anonymes ou des illustrations d’artistes numériques. De jeunes journalistes y font leurs premières armes comme Jean-Yves Leloup, Jean-Philippe Renoult et Étienne Racine. Les photos sont également très soignées et le plus souvent exclusives grâce aux photographes Pierre-Emmanuel Rastoin et Olivier Degorce. Coda va s’employer à présenter la techno/house et ses dérivés comme une véritable culture et non un simple “son” prêt à danser. Un sacerdoce qu’il effectuera seul pendant plusieurs années avant l’apparition de son principal concurrent, Trax, en 1997. Après plusieurs changements de lignes éditoriales – les artistes finissent par poser en couv’– le mensuel publiera son dernier numéro en 2006.
Le premier numéro de Coda
Nouvelle recrue du label Fnac, Guillaume Leroux, alias Lunatic Asylum, sort le maxi Techno Sucks vol 2. Il contient le morceau trance The Meltdown dont la mélodie est inspirée par la B.O du film Dune de David Lynch. Joué par Sven Väth lors de la Love Parade 93, il en devient l’hymne officieux. C’est la première production techno française à rencontrer un grand succès à l’international, près de 30 000 copies s’écoulent en quelques mois.
Les coups bas ne viennent pas toujours de là où l’on pense. Les articles les plus violement à charge contre la techno et les raves ne sont ainsi pas parus dans Le Figaro ou Valeurs actuelles, mais bien dans L’Humanité. Le 15 juin 1993, ce ne sont pas un, mais bien trois papiers d’une brutalité inouïe qui paraissent dans l’organe officiel du Parti communiste. Ils sont publiés suite à la grande rave Célébration – dans la Grande Halle de la Villette – organisée pour fêter les 20 ans du journal Libération. Une simple histoire de vengeance entre confrères ? On ne saura jamais le fin mot de l’histoire.
Les trois articles, sobrement intitulés “Le phénomène rave, mélange de solitude et de drogue”, “Lu sur 36 15 RAVE : sortez-moi de cette merde” et le plus croustillant “La musique techno a ses rites, ses chefs et ses croix gammées”, vont en tout cas mettre le feu aux poudres. Tous les clichés sont passés en revue quand il ne s’agit pas de pure désinformation. Le milieu techno aurait une forme sectaire pour “initiés”, la consommation de stupéfiants en serait l’unique raison d’être, la musique assourdissante et les jeunes raveurs des paumés désocialisés comparés à des “zombies”. Plus drôles sont les passages où sont abordés la musique et ses artistes : “Composée sous ecstasy et LSD et baptisée acid music, elle exige de celui qui l’écoute qu’il soit sous l’emprise des mêmes drogues.” Plus grave, l’article évoque des groupes de la scène industrielle post-punk comme Death In June ou Vomito Negro, qui effectivement jouent avec des codes fascisants souvent au second degré. Mais les journalistes oublient de préciser que tout cela n’a rien à voir avec la scène rave des années 90. Les conséquences sont désastreuses. Une dépêche de la très officielle AFP en reprend le ton alarmiste et la presse régionale va elle aussi s’acharner sur les raves. C’est le début de la diabolisation de la techno et de sa répression massive par les autorités.
Un label spécifiquement dédié aux compilations et aux mixes de DJs voit le jour : Fairway. Dirigé par Daniel Goldsmith et Olivier Planeix, il bénéficie d’un budget conséquent pour sa promotion et sa distribution. Didactiques, les compilations sont souvent dédiées à des genres musicaux précis. On retrouve ainsi des séries intitulées Transcore, Hardcore, Progressive ou Hypnotic Trance avec le plus souvent des artistes français derrière les platines.
Suite à la parution des articles assassins dans l’Humanité, le climat se fait d’un coup plus pesant pour la “House Nation” – c’est ainsi que se nomme l’ensemble du mouvement techno/house/rave de l’époque. Sur le modèle de Mayday en Allemagne et Universe en Angleterre, la rave Oz prévue pour le 10 juillet 1993 devait en être l’apothéose. Organisée conjointement par l’équipe de Coda et Laurent Garnier, elle doit rassembler pas moins de 18 000 personnes venues de toute l’Europe dans le parc des Expositions d’Amiens. Le budget est conséquent : 1,2 million de francs, un record pour l’époque. 200 000 flyers format A4 en couleur sont distribués en France et dans les pays limitrophes. Une quarantaine d’artistes dont Carl Cox et Sven Väth doivent s’y produire dans trois salles différentes. Alors que les discussions avec la mairie et la préfecture s’engagent cordialement, un article paru dans le Courrier Picard va venir tout remettre en cause. Il décrit des hordes de hooligans prêts à mettre Amiens à sac, devenu pour l’occasion une plaque tournante de la drogue.
Flyer de la soirée OZ
La veille de l’événement, alors que tout le matériel est déjà installé, un arrêté préfectoral d’interdiction est émis. Il invoque des risques de troubles à l’ordre public et l’impossibilité des forces de l’ordre à assurer la sécurité de l’événement du fait du passage du Tour de France dans la région. L’annulation va entraîner la perte sèche du budget et la fermeture des magasins partenaires TSF et USA Import. Des débats sont organisés sur l’antenne de Radio FG et une manifestation de soutien spontanée s’improvise au Trocadéro. Les Spiral Tribe, qui étaient invités à jouer en live à Oz, posent leur sound-system sur l’Ile au Cygne à Paris. Deux semaines plus tard, ils organisent le premier teknival dans un champ près de Beauvais.
À Montpellier, une bande d’amis se faisant appeler “La Tribu des Pingouins” crée la rave Boréalis. Avant de rejoindre par la suite les Arènes de Nîmes, cette première édition se tient dans un club de Pézenas et sur son parking attenant. Plus de 2000 personnes s’enthousiasment pour les sets de Liza N’Eliaz, Juantrip’, Stephanovitch, Heyoka, 100 % Isis et Jack de Marseille. Le début d’une belle aventure.
Flyer de la première édition de Boréalis
L’automne voit la création du label Yellow Productions suite à la rencontre d’Alain Hô – DJ Yellow – et Christophe Le Friant – qui ne se fait pas encore appeler Bob Sinclar. La structure se destine initialement à sortir des sentiers battus de la house traditionnelle. L’acid-jazz et le trip-hop aux influences latines et brésiliennes y sont alors à l’honneur. Le label devient l’un des fers de lance de la musique “chic” à la française. Par la suite, il prendra une tournure beaucoup plus commerciale avec les productions de Bob Sinclar.