Au début des années 2000, le vent tourne. Les médias comme le public se passionnent beaucoup plus pour le soi-disant “retour du rock” avec des groupes comme The Strokes qu’à la French Touch. C’est pourtant à ce moment, alors que beaucoup de maisons de disques indépendantes qui ont fait les riches heures de la scène électronique française ont déjà mis la clé sous le porte, que celui qui est encore l’homme de confiance des Daft Punk va faire le pari de lancer un label. Pedro Winter connaît les rouages de l’industrie et du monde de la nuit. Il fonde Ed Banger Records, avec le désir de produire la jeune génération électro française. Car dans l’underground, de nouveaux musiciens sont arrivés dans le paysage avec un son qui s’écarte résolument du “disco filtré” de leurs aînés. Les musiciens de ce qu’on ne va pas tarder à appeler la “French Touch 2.0” envoient valser les codes établis pour mélanger l’électronique avec le rock, le disco ou le hip-hop. Leur musique est plus abrasive, agressive même. Ed Banger Records va devenir le principal étendard de cette nouvelle école. Pedro Winter découvre le duo Justice et son électro-rock mâtiné de disco, révèle la pop funky du Parisien Breakbot, sort les premiers morceaux de turbine nerveuse de SebastiAn, et accompagne le virage électro de DJ Mehdi. Treize ans plus tard, Ed Banger Records est toujours là, et s’attache toujours à défendre la nouvelle génération avec des artistes comme Boston Bun ou Borussia.
Aujourd’hui considéré comme l’un des plus importants festivals français de musique électronique, Nuits Sonores à Lyon a d’abord démarré en douceur au printemps 2003. La scène électro de la ville avait une revanche à prendre depuis l’annulation de la soirée Polaris en 1996. Lyon a trop longtemps été perçu comme un symbole de l’acharnement des pouvoirs publics contre la musique électronique. Ce qui n’a pas empêché le collectif Arty Farty (fondé en 1999 par des fans de musique électronique et d’art contemporain accompagnés par le DJ et producteur Agoria) de se lancer dans un projet de festival de musique électronique, soutenu par le nouveau maire de Lyon, Gérard Collomb, qui depuis son élection en 2001 a décidé de moderniser l’image de sa ville.
Flyer de la première édition de Nuits Sonores
La première édition ne programme pas de tête d’affiche XXL, mais la crème de la scène électronique mondiale (Derrick May, Felix Da Housecat, Roni Size) va déjà rassembler 15 000 festivaliers. Avec le temps, l’engouement et le nombre de spectateurs ne va que croître. Devenu un rendez-vous incontournable du printemps, Nuits Sonores accueille aujourd’hui 80 000 spectateurs, autant la nuit que le jour (DJ-sets et groupes en extérieur) aux quatre coins de Lyon. Depuis 2003 l’événement accueille aussi l’European Lab, un cycle de conférences sur l’avenir de la culture en Europe, et a lancé en 2013 une édition de son festival au Maroc, à Tanger.
Alors encore inconnu du grand public, le DJ français Martin Solveig se fait un nom avec “Madan”, un remix d’un titre du musicien malien Salif Keita, où les chants africains se marient aux rythmiques funky. Solveig en vendra plus de 100 000 exemplaires en France, et bénéficiera d’un second coup de pub lors de la Coupe du Monde 2006 avec “Zidane il va marquer”, une parodie réalisée par l’animateur Cauet, qui reprend la mélodie de “Madan”.
C’est le premier tube d’un duo qui va bientôt se faire une place à part dans l’électro française. Alors que le label Ed Banger Records en est à ses balbutiements, Pedro Winter découvre un remix du morceau “Never Be Alone” du groupe anglais Simian, signé par deux Parisiens inconnus qu’il a rencontrés lors d’une soirée raclette avec des amis. Il signe Justice dans la foulée, et sort leur remix de “Never Be Alone”, qui deviendra un des hymnes électro des années 2000.
Habituellement organisé en parallèle du festival, le Teknival des Vieilles Charrues cristallise cette année toutes les polémiques. Fort de l’amendement Mariani à la loi de sécurité quotidienne qui encadre les free party depuis 2002, les forces de l’ordre confisquent tout le matériel, ce qui déclenche des affrontements. Un fêtard perdra sa main suite à une explosion de grenade, tandis que 28 autres personnes seront blessées (dont deux gravement).
Pionnier de la scène électronique française, Laurent Garnier publie Électrochoc en collaboration avec le journaliste David Brun-Lambert. Dans ce livre chaleureusement salué, les deux auteurs racontent l’histoire d’une musique que Garnier a vue grandir et évoluer. C’est autant une autobiographie de l’un des DJs français les plus populaires qu’une histoire de la scène électronique mondiale, passant par Londres, Berlin, Detroit ou Chicago. Le livre connaîtra une nouvelle édition dix ans plus tard, complétée de chapitres racontant les années 2003-2013.
Couverture d’Electrochoc
L’histoire du label Institubes, tout comme celle d’Ed Banger, est emblématique de la seconde génération d’artistes électro français, celle des années 2000. Formé par une bande de potes issus de divers collectifs et groupes (Teki Latex et Para One de TTC, Jérôme Tacteel, Jean-René Étienne…), Institubes part d’une idée simple : plutôt que se cantonner à un seul style musical, mélangeons les genres. “Beat Down”, premier EP du label réalisé par Para One, annonce dès le début la couleur : avec un premier morceau rap, un autre électro et un troisième qui mélange les deux, la musique n’a plus de limites tant qu’elle fait danser.
Les divers artistes du label (Surkin, Para One, Tacteel, Château Marmont, Das Glow…) n’hésiteront pas à envoyer des bombes électro, funk, turbines, rap ou même chanson française (le collectif a réalisé un album de la chanteuse Alizée en 2009) dans les clubs. Tout comme Ed Banger Records – dont ils sont très proches – les membres d’Institubes se revendiquent très peu de la French Touch des années 90 et insufflent une nouvelle dynamique à la scène électronique française des années 2000. En soirées, la bande passe ainsi d’un classique rap à un titre électronique tout en mettant un morceau disco juste après, du jamais vu à l’époque. Et le succès va arriver : d’abord en France, puis à l’étranger, puisque Institubes sillonne l’Europe et l’Amérique, et sera même invité à mixer aux États-Unis à Coachella, l’un des plus grands festivals au monde. Malheureusement, toutes les fêtes ont une fin : c’est finalement en 2011 qu’Institubes mettra la clé sous la porte, pour renaître sous différentes formes (Marble Records et Sound Pellegrino).